J’ai longtemps dit qu’il fallait plus d’études sur la médiation, pour comprendre les mécanismes de son développement. En voici donc une qui apporte une solide pierre à cet édifice (lien vers l’étude : vous y trouverez le document complet – 165 pages – et une synthèse de moins de 10 pages) . L’étude a été réalisée par Adrien Bascoulergue, Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, Philippe Charrier et Gérald Foliot entre 2015 et septembre 2017, dans trois ressorts de cours d’Appel (Lyon, Pau et Paris).
En complément, un article de Dalloz-Actualité s’y réfère et offre sa propre analyse (ici). On y apprend qu’en 2017, le Ministère de la Justice ne comptabilisait que 759 envois en médiation, hors justice familiale. Ce chiffre, que je trouve extrêmement bas, offre une perspective intéressante sur ce qui suit.
Pour développer la médiation judiciaire, l’étude sus-citée offre des prescriptions, réparties en cinq groupes:
- Le développement d’une réelle culture de la médiation auprès de ses prescripteurs naturels, avocats et magistrats, par des formations dédiées, différentes de la formation des médiateurs eux-mêmes. Les auteurs parlent d’une “pédagogie de la médiation” à développer à l’ENM et dans les cursus de droit, en Master 1 (afin de toucher un maximum de monde). Les magistrats interrogés, comme les avocats, veulent pouvoir “toucher du doigt” ce qu’est une médiation, afin de savoir comment la prescrire.
- L’institutionnalisation de l’animation des projets médiation autour de personnels dédiés (magistrat référent pour le ressort entier de la Cour d’Appel, personnels locaux, notamment au sein des greffes). L’étude pointe le fait que beaucoup d’actions en faveur de la médiation ne sont aujourd’hui que des “expérimentations”, et donc en manque de pérennité (surtout en cas de mutation ou de départ en retraite des personnes concernées).
- La mise en place d’un suivi statistique commun aux différentes juridictions, non pas pour fixer des objectifs, mais pour étalonner les dispositifs existants et leur permettre d’échanger entre eux. Concernant les indicateurs, il s’agit d’aller au-delà du nombre de médiations et du taux de succès.
- L’organisation de la profession de médiateur, par l’harmonisation des formations et le rapprochement entre ses différentes instances. La confusion autour du concept de “médiateur professionnel” dont ce serait une activité annexe, mal définie (voire sujette à une confusion de postures), génère un flou qui fait obstacle à la confiance qui doit régner pour que la médiation soit prescrite.
- L’intégration dans le cadre réglementaire des pratiques jugées efficaces, telles que les réunions obligatoires d’information et les audiences de prescription directe de la médiation.
Une petite analyse personnelle, qui, je l’espère, suscitera débat.
Cette étude a pour moi l’intérêt principal d’apporter des données empiriques au soutien de pistes de développement de la médiation qui, pour la plupart, ne me semblent pas novatrices, notamment la nécessité d’offrir, côté médiateurs, des interlocuteurs crédibles aux prescripteurs, et de diffuser l’information sur la médiation au plus grand nombre (afin de créer une culture de la médiation), via différents canaux (formation continue des magistrats et avocats, sensibilisation en fac de droit). Nos amis canadiens s’arrachent les cheveux lorsqu’on leur dit, qu’en France, on en est toujours à la diffusion de l’information, mais le constat est là…
Là où l’étude contribue réellement, c’est lorsqu’elle sous-entend que l’institution judiciaire semble prête, par endroits, à dépasser le stade de l’expérimentation, pour passer à la structuration des dispositifs de médiation. Cela nécessite, selon ses auteurs, des éléments relativement simples, à savoir une plus grande coordination inter et intra-tribunaux, la mobilisation de ressources dédiées, des efforts de formation des acteurs du système et la mise en place d’indicateurs de suivi de l’activité.
Rien dans l’étude ne me semble infaisable, ni même compliqué, à partir du moment où les médiateurs ont un discours audible, et donc structuré, sur leur activité, leur place dans les dispositifs de médiation judiciaire et l’intérêt de ceux-ci pour l’institution judiciaire. Là, mon expérience me dit que ce n’est pas gagné…
En bref, j’ai apprécié la lecture de cette étude, ni trop optimiste, ni défaitiste quant au développement de la médiation judiciaire dans des ressorts de cours d’appel particulièrement avancés dans le domaine (l’étude n’est pas représentative de tout le territoire français). Il reste beaucoup à faire, notamment pour projeter les acteurs du système (magistrats et avocats) dans une vision plus inclusive de la médiation dans leurs activités.