Il est rarement recommandé d’utiliser la menace en négociation, même si parfois, (1) cela peut, à titre personnel, être tentant et (2) il faut faire prendre conscience à l’autre partie des conséquences de l’absence d’accord. L’actualité de ces derniers jours du conflit social chez Air France nous a apporté de beaux exemples d’utilisations critiquables de la menace en négociation.
Pour ceux qui auraient hiberné ces dernières semaines, un petit rappel du contexte : les pilotes d’Air France ont lancé un mouvement social visant une revalorisation des salaires : ils demandent à profiter des fruits des bons résultats enregistrés récemment par la compagnie, après des années de gel des rémunérations. Il leur a été opposé leurs salaires déjà élevés (par rapport à la concurrence, et au reste des salariés français), la nécessité de réinvestir les profits dans un environnement ultra-concurrentiel (les concurrents directs, IAG et Lufthansa, enregistrant des résultats bien plus positifs qu’Air France-KLM et EasyJet grignotant ses parts de marchés sur le marché européen). La société a subi de nombreux jours de grève, entraînant des pertes directes chiffrées à près de 300 millions d’euros à ce jour.
Les relations entre les parties sont exécrables et les négociations sont bloquées, faute de rapprochement entre elles : alors que les pilotes demandent 5,1% d’augmentation générale immédiate, l’ultime proposition de la direction est, quant à elle, de 2% immédiatement, puis 5% étalé entre 2019 et 2021.
1. Le pari doublement perdant du PDG
Pressentant un décalage entre des syndicats jusqu’au-boutistes et le personnel (comme on a pu l’observer dans d’autres conflits sociaux récemment, notamment autour du travail dominical), la direction a joué un va-tout en soumettant sa proposition au vote du personnel. Là, ce qui semble être une erreur grossière a eu lieu : le PDG d’Air France a menacé de démissionner en cas de résultat négatif. Malgré l’exemple du referendum de 1969, au cours duquel le Général de Gaulle a mis son mandat dans la balance, pour démissionner à la suite de la victoire du « non », Jean-Marc Janaillac a enregistré 55,4% de votes négatifs pour 80% de participation et démissionnera lors du Conseil d’Administration de la semaine prochaine.
Menacer de quitter ses fonctions en cas de résultat négatif d’une consultation conduit nécessairement à en changer la question. Ainsi, le vote négatif doit être interprété au moins autant comme un désaveu du dirigeant que comme un rejet des propositions salariales. M. Janaillac aurait pu démissionner à la suite du « non » du personnel, sans l’annoncer a priori : au moins le message envoyé par le personnel aurait été plus clair. Là, Air France n’a plus de pilote, mais n’est guère plus avancé dans ses discussions salariales.
2. Le grain de sel du gouvernement
Un deuxième épisode de menaces a eu lieu immédiatement après, avec la sortie de Bruno Le Maire, Ministre de l’économie, prédisant un avenir terne à la compagnie si les personnels ne se montraient pas raisonnables. En bref, « la survie d’Air France est en jeu ». On ne peut pas faire plus clair.
Cette menace (difficile de la qualifier autrement) repose cependant sur une lecture de la situation d’Air France qui, juste ou non, n’est manifestement pas partagée par les personnels. Cela, on le retrouve souvent en négociation de conflit : « si c’est comme ça, RDV au tribunal, je suis sûr de gagner ! » La crédibilité de la menace repose sur l’objectivité du point de vue de son auteur, celle-ci étant généralement largement surestimée. A cette pratique, on oppose généralement le besoin d’établir un diagnostic commun avant de prendre des positions en négociation.
Ces menaces n’ont mené à rien, les négociations en étant toujours au même point, de potentiels dommages relationnels additionnels en sus. Les discussions sont même arrêtées (et le mouvement social suspendu) jusqu’à l’arrivée d’un nouveau capitaine dans l’équipe d’Air France (les syndicats ont demandé la reprise des discussions, la direction leur demande d’attendre l’arrivée d’un nouveau patron). Bref, à jouer les gros bras, on n’est (au mieux) guère plus avancés…